mercredi 28 octobre 2009

Numquamne familia mea quieta erit ? /episode 3

Pendant que Betty préparait un café pour Mary, assise à la table familiale, Benoit prenait une douche. Il se shampooinait les cheveux avec grand soin : il avait lu Kundera. Dans une heure, il serait de retour à la maison, et enfin il rencontrerait celle qu'il se plaisait à appeler sa "belle tante", l'une des héroines de sa jeunesse libidineuse.
Quand sa femme lui avait annoncé cette incroyable visite, il a été sincèrement surpris et tout aussi sincèrement il s'est inquiété pour Betty. La proximité de Marie était-elle vraiment une bonne chose pour elle ? Cela ne risquait-il pas de déterrer d'anciennes querelles, de rouvrir d'anciennes blessures ? Il avait bien failli la perdre quand elle avait découvert ce qu'il faisait sur internet dès qu'il avait cinq minutes. Il était presque mort de honte devant la mère de ses enfants quand il avait dû avouer qu'il était un habitué des rencontres virtuelles, un forcené de la webcam.
Apres les pleurs, les cris, les insultes, elle avait recouvré la raison, lui avait enjoint de se faire soigner, avait même résilié l'abonnement au haut débit (il avait fallu faire croire à Valérie que le cable qui reliait la maison au monde entier avait été rongé par les taupes...). Il avait accepté toutes les conditions de son épouse : son téléphone, son ordinateur, ses poches bien sûr faisaient régulièrement l'objet d'une fouille en règle ; il avait vu un psy au moins trois ou quatre fois ; bref, il était devenu irréprochable : le mari parfait, enfin.
Puis Quentin est arrivé. L'enfant de la réconciliation, l'enfant-cicatrice, qui rappelle aussi bien la guérison que la blessure.
Mais au fond de lui, Benoit ne se sentait ni malade, ni dépendant, ni particulièrement pervers. Il avait juste des besoins que Betty, même avec toute la bonne volonté du monde, ne pouvait combler. Il l'aimait, là n'était pas le problème, mais il aimait aussi être un autre, rencontrer des femmes consentantes, jouer au jeu pipé de la séduction facile, téléphonée, se sentir désiré, convoité, irresistible. Il avait le sentiment d'avoir besoin de cela pour être entièrement lui-même. Pour lui, l'équilibre passait par l'acceptation de son côté obscur. Il était double, il avait fini par se rendre à l'évidence : il lui fallait Betty, l'amour de sa vie, et les autres, celles qui combleraient tous ses désirs. Faire un choix ? Pourquoi faire un choix ? Pourquoi toujours renoncer à quelque chose ? Benoit le savait, il pouvait toutes les rendre heureuses et il le ferait. Il n'est pas d'homme plus heureux que celui qui a trouvé son rôle sur cette terre.
Il a noué sa cravate, repris sa sacoche de médecin, et a quitté l'hotel, le coeur leger et les bourses vides.
Dans la voiture, il sifflotait en écoutant la fréquence pour djeun's que Valérie remettait invariablement dès qu'elle s'installait sur le siège passager. D'humeur guillerette, il n'a même pas remis France Culture comme il le faisait en général, en pestant contre cette musique électronique qui rendrait sa fille sourde ou conne.
Il se sentait fébrile en poussant la porte de la cuisine. Toute l'excitation des jeunes années le reprenait. Il allait enfin la voir, en vraie, en chair et en muqueuses ; il redevenait l'adolescent groupie, il essayait de calmer la formidable érection qu'il ne maîtrisait plus. Il prit une grande inspiration, se rappela qu'il était là Benoit Guerier, médecin de son état, heureux mari de Betty, père de deux charmants enfants.
- Salut les filles ! dit-il d'un air trop décontracté.

A SUIVRE ...

samedi 17 octobre 2009

Numquamne familia mea quieta erit ? /episode 2

Ce matin-là, c'était le 18 mai, il pleuvait des chiens et des chats. Betty a déposé Quentin à l'école et Valérie au collège sans presque s'en rendre compte tant elle était préoccupée. Elle est arrivée très en avance à l'aéroport, le temps de lire le quotidien, de boire un café, de vérifier quatre fois son maquillage dans le miroir des toilettes, d'acheter à la boutique un chiot en peluche et un tube de rose à lèvres ultra brillant au cas où sa marraine aurait oublié de prévoir un cadeau pour les enfants, et une bouteille de whisky pour son mari... au cas où... on ne sait jamais, on n'est jamais torp prévoyant... Betty pensait toujours à tout, tout le temps ; du coup, sa famille se dispensait souvent de penser, tout court. Cette redoutable organisatrice préparait les affaires de chacun le soir, les mettait dans la voiture, beurrait les tartines, mettait le sucre dans le café qu'elle tournait, prémâchait tout, sauf le steak.

A 8h55, l'écran a enfin affiché la terrible nouvelle : l'avion avait atterri, un vol sans avaries, avec à son bord Marie, qui, si souvent femme varie, ne variait que d'apparence, mais fréquemment.

Betty s'était imaginé mille visages, mille accoutrements les plus impossibles les uns que les autres et en secret elle avait prié pour que sa tante arrive incognito, se fondant dans la masse des autres mortels du vol AF 687.
Elle-même se tenait un peu en retrait de la foule qui attend toujours aux arrivées d'avions. Chaque fois que la porte s'ouvrait, elle se haussait un peu sur la pointe de ses ballerines, tendait le cou, levait le nez, prête à lever le bras en direction du nouvel arrivé puis elle laissait tout retomber, sauf le sourire qu'elle s'était accroché au visage.
- Betty ! Bonjour ! Vous attendez quelqu'un ? ça fait un bail qu'on ne s'est pas vu ! depuis le dîner chez les Matthieu, je crois. Comment allez-vous ?
Betty se retourna vivement. Elle avait en face d'elle le nouveau DRH de BioSanté, collègue et ami récent de son mari. Tout en priant pour que Mary ne débarque pas à ce moment-là, elle répondit qu'elle attendait sa vieille tante malade. Et comme les vieilles tantes malades n'intéressent pas les DRH blonds au sourire pepsodent, le Jean-Pierre formula une politesse quelconque et s'en alla voir ailleurs si Betty n'y était pas.

Comme Betty vérifiait que l'importun s'éloignait bien, elle se fit brusquement prendre par la taille et sa joue reçue une bise magistrale. Elle ne l'avait pas vue arriver.
Elle était aussi grande que dans ses souvenirs, toujours aussi blonde et terriblement jeune. Ses cheveux lui descendaient plus bas que sa jupe léopard et sa frange soulignait ses grand yeux noirs. Son sourire laissait briller un diamant incrusté dans son incisive. Eblouie, Betty baissa les yeux et découvrit de vertigineux escarpins vernis. Finalement, elle s'était fait des idées, Marie n'était pas si excentrique que sa filleule l'avait craint.

Lorsqu'elle retrouva l'usage de la parole, Betty lui fit les politesses et voeux de bienvenue d'usage et l'embarqua dans son monospace de mère de famille.

A SUIVRE ...