lundi 14 mai 2012

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 11

Betty ouvrit difficilement un oeil et le rai de lumière qui filtrait sous la porte suffit à lui donner mal à la tête. Elle n’avait aucune idée de l’heure mais elle se doutait que toute la maisonnée était déjà debout. Elle recouvrit avec le drap la culpabilité qui se réveillait elle aussi, se lever était pour le moment bien au-dessus de ses forces. Elle se rendormit avec le souvenir souriant et migraineux de sa folle soirée.
Il était déjà 11 heures quand elle reprit ses esprit et descendit timidement. Les enfants étaient chacun dans leur chambre à jouer avec leur console. Benoit était assis à la table de la cuisine. Visiblement il l’attendait. Il la fixait d’un oeil mauvais. Elle ne dit rien, se servit une tasse de café et prit une chaise face à lui en prenant soin d’éviter son regard.
Marie n’est pas encore descendue ? Je prends mon café et je prépare le repas. Mon dieu ! il est bientôt midi !
C’est quoi ces conneries ? Tu crois que tu as encore 18 ans ? Tu es rentrée saoule comme une barrique ! Tu pues l’alcool ma pauvre fille. Va te regarder dans le miroir cinq minutes, tu me fais pitié. Tu as oublié que tu avais une famille ? un mari et des enfants ? Tu comptes faire ça tout le temps qu’elle sera là ? Tu pers le sens commun ! pffff, à sortir avec cette.... trainée
Excuse-moi mon chéri, je me suis laissée entraîner... Ca ne m’arrive jamais d’habitude, tu le sais bien. Je vais... je vais préparer le repas.
Benoît se contenta d’un grognement et conserva son oeil accusateur. Sa femme, se bourrer la gueule en boite ! n’importe quoi ! Si ça trouve elle s’est frottée à des types sur la piste. Voilà ce que c’est d’avoir des putes dans la famille. Y doit y avoir un gène... Faut qu’elle dégage l’autre salope, où elle va tout foutre en l’air, une famille, sa famille, qu’il avait construite, qu’il nourrissait, qu’il chérissait !
Betty s’affairait en cuisine, tentant d’oublier la douleur qui pulsait sous son crâne. Elle était sincèrement désolée, elle ne craignait rien davantage que les colères de son mari. En même temps, elle n’arrivait pas à regretter sa soirée. Elle préparait des lasagnes, le plat préféré de Benoît, tout en se remémorant les fous rires avec Marie et Luce, les trois types au bar qui leur avaient offert à boire, les regards échangés, les paroles ambigües, et surtout la série de zouk... Elle n’avait jamais de sa vie dansé à ce point collée. Malgré elle elle souriait à sa bolognaise. C’était une bonne soirée et il n’y en a pas tant.
Elle était si absorbée dans ses pensées qu’elle n’entendit pas Marie entrer dans la cuisine.
Eh ben dis donc, sacrée soirée ! Il a l’air de faire la gueule ton bonhomme.
Betty sursauta :
Marie ! Tu m’as fait peur.
Elle se renfrogna et chuchota : «Oui, bonne soirée, mais je vais la payer maintenant...»

Le repas dominical se passa dans un silence de plomb. Même les enfants n’osaient pas faire leur chahut habituel. Ils se faisaient tout petits, comme à chaque fois que leur papa affichait cette mine. Ils savaient bien comment ses colères pouvaient se retourner contre eux. Dès la fin du repas, Benoît prit sa veste et partit sans dire un mot. Les enfants reçurent la providentielle visite de leurs petits voisins qui les invitaient à jouer chez eux . Betty les y autorisa avec plaisir, espérant qu’ils ne rentreraient pas trop tôt. Elle ne se demandait même pas où son mari était parti, elle n’avait que trop vécu ce genre de situations. Elle savait qu’il rentrerait une fois les enfants couchés, calmé et même peut-être un peu tendre.
Elle proposa à sa tante une balade en forêt.

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 10

Il fallut bien sûr passer chez le coiffeur avant d’aller déjeuner.
Alors qu’elles étaient attablées devant un pavé d’autruche bien cuit et un tartare de boeuf, Mary annonça à sa nièce la suite des réjouissances :
Alors ma chérie, cet après-midi, on va faire un peu de shopping, tu as bien besoin d’être relookée, tu t’habilles comme une mémé et ce soir, tu appelles une de tes amies - tu as bien des amies, non ? - et on sort entre filles.
Quel programme ! mais pour ce soir, je ne sais pas... Benoît aura passé la journée avec les enfants, il voudra peut-être sortir.
On verra ça avec lui tout à l’heure, termina Marie. On se prend un petit dessert ?
Je vais essayer d’appeler Luce. Elle va te plaire, c’est ma seule copine célibataire. Elle a divorcé il y a deux ans et elle adore faire la fête.
Le serveur arriva, un jeune homme à la peau chocolat et au sourire éclatant. Marie commença à badiner avec lui et finit par lui laisser un numéro de téléphone, faux.
Alors là, je ne comprends pas, s’étonna Betty, tu le dragues autant que tu peux et tu lui donnes un faux numéro ! Il faut que tu m’expliques. Tu n’es pas le genre de femme à ne pas aller au bout de ce que tu entreprends....
Détends-toi ma chérie... c’est pour consommer sur place.
Sur ces mots, Marie se leva, ébouriffa sa crinière, reposa théâtralement sa serviette sur la table et se dirigea vers les toilettes, non sans jeter au serveur une oeillade appuyée, plus qu’évocatrice.
Betty profita de l’absence de sa tante pour appeler rapidement son époux, qui pour une fois ne s’offusqua pas qu’elle abandonnât ainsi le domicile familial et passer un deuxième coup de fil un peu plus long à sa meilleure amie.
Luce était la personne qui connaissait le mieux Betty au monde. Elles s’étaient rencontrées sur les bancs de l’université et depuis elles ne s’étaient plus quittées. Luce était devenue journaliste au quotidien local et Betty avait bien vite renoncé à toute ambition professionnelle au profit de son foyer. Elles s’étaient confié tous leurs secrets, leurs déceptions, leurs espoirs. Luce était une des seules personnes à connaître l’existence de Marie, son métier et le lien qui l’unissait à sa nièce. Elle accepta avec grand plaisir l’invitation pour la soirée et leur donna rendez-vous dans le seul bar branché de la petite ville : le Malone’s.
Un quart d’heure plus tard, Marie revint s’installer à table. Elle but d’un trait son verre d’eau, soupira et lâcha :
Tu n’imagines même pas ce que je viens d’avoir dans la bouche !
Betty baissa la tête, elle sentait qu’elle rougissait. Elle aurait aimé disparaître sous la table tellement elle avait honte. En même temps, elle fut saisie d’un rire nerveux qui secouait tout le haut de son corps et de temps en temps elle poussait un petit cri aigü, reste d’éclat de rire qui surgissait bien malgré elle.
Arrête ! Tout le monde te regarde, la sermonna Marie en souriant.
D’un geste, elle appela le serveur, régla l’addition et laissa un pourboire généreux, sans doute pour le service attentionné dont elle avait été bénéficiaire.