- Attends-moi là, j’en ai pour 5 minutes.
Betty avait tourné un bout de temps dans le quartier avant de trouver la place idéale, au fond d’une allée, derrière l’école. Elle avait laissé sa tante poireauter dans la voiture, au cas où un parent d’élève l’aurait reconnue.
Elle l’aimait vraiment bien sa tante Mary, son exubérance la faisait rire. Elle était tout ce qu’elle n’avait jamais osé être. Mais de là à sortir en public avec elle, il y avait un pas qu’elle n’était pas prête à franchir...
Betty rejoignait à pas pressés la foule des parents qui attendait devant l’école. Elle en connaissait quelques uns qu’elle salua poliment. Elle serra des mains, fit quelques bises. Ces gens n’étaient pas ses amis mais elle entretenait ces relations avec les autres parents par amour pour ses enfants, persuadée que leurs amitiés étaient conditionnées aux siennes. Il faisait plutôt frais, le vent de novembre s’était levé et semblait s’être installé dans les rues étroites de la petite ville. Betty serra un peu plus les pans de sa veste, elle détestait le froid, surtout le vent qui s’engouffre sous les vêtements sans qu’on puisse rien y faire. Elle détestait la chaleur aussi, d’ailleurs. La sueur était sans doute la chose qui la dégoûtait le plus au monde.
Lorsque le portail s’ouvrit enfin, elle laissa passer la foule de ceux qui se précipitent quand on leur ouvre la porte, sans savoir vraiment pourquoi, dans un élan grégaire qu’elle avait toujours méprisé. Elle entra tranquillement dans l’école et se dirigea vers la classe de son Quentin. Comme chaque jour, elle prit le temps de demander à l'institutrice comment la journée s’était passée, puis elle ressortit, son fils à la main, écoutant attentivement le récit de ses exploits du jour.
Le retour à la fraîcheur de la rue fut plutôt brutal : de l’autre côté du trottoir, tatie Mary, leur faisait de grands signes et appelait de sa plus haute voix «Quentinououououou !».
Betty crut mourir de honte. Elle aurait dû l’enfermer dans la voiture ! Les parents qui sillonnaient les trottoirs alentour ne pouvaient s’empêcher de jeter un oeil curieux, amusé, choqué, libidineux sur Mary qui visiblement ne craignait pas tant le froid que sa nièce.
Quentin quant à lui, à mille lieues de ces considérations bien pensantes, courut vers sa grand-tante qui lui colla un généreux baiser sur la joue et le prit par la main. Betty hurla comme une bête blessée lorsqu’il traversa la rue en courant, laquelle était d’ailleurs tellement embouteillée que les voitures ne bougeaient pas d’un pouce. Le cri de la mère apeurée n’eut donc d’autre effet que de focaliser toutes les attentions sur les joyeuses retrouvailles de Mary et Quentin.
- Pourquoi tu t’es garée si loin maman ?
Betty ne répondit pas. Elle marchait les dents serrées derrière sa tante et son fils qui devisaient joyeusement, main dans la main. Les enfants ont cette chance de savoir accueillir et accepter sans condamner.
Mary sentait bien que Betty était gênée par sa présence. Elle se sentait comme une enfant prise en faute à chaque regard que lui lançait sa nièce. Elle n’avait pas les bonnes manières, pas le bon langage, pas l’air qu’il fallait et nulle part d’autre où aller. Tout le monde lui avait tourné le dos, à elle qui l’avait si souvent tendu aux autres. Elle n’était pas stupide, elle voyait bien ce qui se passait mais elle n’avait pas le choix : elle devait coute que coute se faire accepter dans cette famille le temps de se refaire, le temps que son avocat lui récupère ses biens et qu’elle puisse repartir vivre sa vie. En attendant, elle était bien décidée à décoincer tout ce petit monde, et surtout sa cul-cousue de nièce qui voulait régenter la vie de chacun. Elle se croyait bien supérieure la petit Betty avec sa belle maison, ses charmants enfants, son séduisant mari et avec son prénom de pute trisomique !
Mary en connaissait long sur la vie. Elle savait ce que c’était que de travailler pour vivre, de travailler dur pour réussir. Et en un sens, elle avait réussi, seule. Seule elle avait construit sa carrière, elle était devenue célèbre et aimée. Elle s’était levé le cul pour gagner son fric, elle ne devait rien à personne. Combien de fois elle avait pleuré d’épuisement à la fin d’une journée de travail, où son corps malmené la faisait terriblement souffrir, lui rappelant le vrai sens de ce mot : travail. Combien de fois elle avait manqué s’évanouir dans les toilettes, au rappel douloureux de son anus surmené. Combien de fois elle s’était gavée de glace et de tranxene pour faire taire tout ce qui criait en elle.
Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Elle était devenue riche, elle avait beaucoup d’amis et d’admirateurs. Elle faisait la fête très souvent. On l’invitait partout. Jusqu’au jour où elle trouva en Julien l’apaisement, la compréhension, la tendresse, la compassion. Elle n’était plus seule le soir dans son lit. Quelqu’un l’attendait, enfin. Elle connut les baisers et les caresses désinteressées, les confidences sur l’oreiller et les soirées à regarder la télévision.
Elle travaillait toujours autant, mais son Julien l’épaulait, la rassurait.
Pour rien au monde elle n’aurait laissé fuir ce bonheur-là. Cet homme était son homme. Elle l’aimait.
Puis il vida un à un tous ses comptes et sortit de sa vie comme il était apparu, tel un songe. Alors les larmes revinrent, et la douleur. Elle fit tout ce qu’elle put pour quitter ce monde et arriva chez Betty, l’ultime recours, la roue de secours.
mardi 30 novembre 2010
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