vendredi 29 novembre 2013

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 14

Les jours passèrent, Marie passait ses journées à traîner en ville. Elle avait perdu tout espoir de trouver un emploi et ne supportait plus l’hospitalité de sa nièce. Elle profitait le matin du trajet en voiture jusqu’à l’école des enfants et ne revenait que le soir, en bus, parfois à pied, de préférence après le repas du soir, alors que Betty était occupée à débarrasser, que Benoit était allongé devant la télévision - quand il était là - et qu’elle pouvait encore passer un moment avec les enfants chacun dans leur chambre.
    Elle avait fini par se rendre compte que le vilain petit banquier était chaque jour aux «Trois cochons». A force de le croiser, elle avait fini par le saluer quotidiennement jusqu’à ce qu’un jour elle le trouve assis sur le tabouret à côté de celui sur lequel elle s’asseyait quotidiennement. Elle eut d’abord un mouvement de recul puis, entre la résignation et la défense de son territoire, elle s’installa à sa place habituelle. Elle fixait obstinément sa tasse de café, bien décidée à ignorer l’homme autant que possible. Lui gardait les yeux rivés sur elle, attendant un signe qui lui permette d’entamer la conversation.
Finalement, c’est Marie qui prit la parole :
Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda-t-elle sans lever la tête.
Rien. Je veux juste faire votre connaissance. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette, je vous vois ici tous les jours, devant votre café, et....
Et quoi ? Et rien ! je bois du café parce que j’ai rien d’autre à faire. Si vous voulez faire quelque chose pour moi, je cherche un boulot, vous avez ça pour moi ?
Elle sourit tristement, elle ne savait rien faire, enfin, rien qui puisse être utile dans une banque...
Peut-être... dites-moi, vous avez un cv ? Je peux peut-être le transmettre à la DRH...
Je n’ai aucune qualification pour travailler dans une banque.
Vous avez bien un métier... vous avez déjà travaillé non ?
Ah ça.... pour avoir travaillé, on peut dire que j’ai travaillé....
Dans quel domaine ?
Le spectacle...
Elle servait toujours la même niaiserie, quand on la questionnait sur son métier. Que pouvait-elle dire ? J’étais actrice porno, mon boulot s’était de me faire enfiler, sous tous les angles, dans toutes les positions et de préférence en gros plan ? Pas acceptable, pas écoutable pour la plupart des gens. Mais elle avait perdu le goût de choquer.
Ok.... mais vous savez lire et écrire non ? Ecoutez, là, je dois filer à la banque mais je vous propose qu’on se voie demain à 12h30. J’aurais un peu plus de temps, on pourra discuter et peut-être vous trouver quelque chose.
Oui, oui, c’est ça....
Elle serra la main qu’il lui tendait, sans conviction. Elle avait le sentiment de lui faire pitié.

    Pourtant le lendemain, poussée par je ne sais quelle curiosité, elle entra aux «Trois cochons», en retard, soit, mais elle entra. Le vilain petit banquier était assis à une table. Il se leva à son arrivée et lui commanda un café. Il avait compris qu’elle ne partagerait pas son repas et ne lui  proposa pas. Elle s’assit mollement et il attaqua de but en blanc :
Vous me disiez que vous étiez dans le «spectacle», c’est ça ? C’est un domaine auquel je me suis beaucoup intéressé, dans une autre vie... Quel était votre nom de scène ?
...
Marie le regardait droit dans les yeux. Il savait. Elle attendait juste qu’il lui fasse une proposition salace pour se lever et se mettre à gueuler dans la salle, afin que tout le monde sache quel était le petit péché de cet immonde bonhomme.
Je vais vous dire, poursuivit-il après un silence, je crois que je vous ai reconnue, je crois que votre nom de scène était Symphony. Je me trompe ?
....
Mais cela n’a pas d’importance. J’ai vu vos films. Vous étiez très ... douée....
Espère de gros pervers, qu’est-ce que tu veux ?
Marie sentait son sang bouillonner.
... mais comme je vous l’ai dit, c’était dans une autre vie. A cause de ma sale manie de ...... m’intéresser trop au monde du «spectacle», j’ai perdu ma femme et mes deux filles. Je me suis fait soigner et aujourd’hui je paie mes erreurs. Je suis seul. Je n’ai plus aucun contact avec ma famille. Ma femme ne veut plus entendre parler de moi, elle a raconté des horreurs à mes filles, qui ne veulent plus me voir non plus...
Il avait baissé son regard sur son assiette où traînait un reste de boeuf bourguignon. Marie continuait à la fixer.
Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ? c’est bien fait pour vous tout ça.
Sa voix exprimait une colère froide, une haine profonde. En même temps la détresse de l’homme lui faisait un peu pitié. Elle se sentait un peu responsable de sa déchéance. Elle radoucit sa voix.
On n’était pas censé causer boulot tous les deux ?
Si, bien sûr. Mes états d’âme ne regardent que moi. Je suis désolé. Pour ce qui est du travail, je vais voir si quelque chose peut vous convenir à la banque. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à un poste élevé, ajouta-t-il dans un sourire gêné. Je regarde ça et je vous propose qu’on se retrouve mardi prochain, à 17h ; ma journée sera terminée et j’aurais un peu plus de temps à vous consacrer.
Elle se leva, lui tendit la main et dans un souffle se présenta :
Marie.
Elle se retrouva dans la rue, ne sachant pas trop où aller. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle avait fait une rencontre presque normale, presque agréable. Il y avait des lustres qu’elle avançait sans rien voir devant elle et voilà qu’elle avait un rendez-vous, professionnel de surcroit. En elle luttaient deux voix : d’un côté elle allait enfin s’en sortir, l’espoir était permis, enfin elle aurait accès à la normalité, à l’anonymat, de l’autre côté quelque chose de profondément défaitiste, ou réaliste, la ramenait vers le sol. Que pouvait-elle attendre ? Pourquoi ce bonhomme lui donnerait un travail alors qu’elle ne savait rien faire, et sans rien demander en retour ? Elle se refusait de croire qu’un geste véritablement gratuit, humain, désintéressé puisse lui être adressé. Elle avait toujours vécu comme une marchandise, elle s’était servie d’elle-même comme d’un objet, dans une sorte de dédoublement vicieux, pour vivre ; elle ne comprenait pas qu’on puisse ne rien lui demander, à elle ni à son corps, alors qu’elle n’avait elle-même eu que ce genre de rapport avec sa propre personne.

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 13

Le quotidien, qui digère et dissout chaque chose, reprit son cours. Les enfants allaient à l’école, Benoit partait travailler pendant d’interminables journées et Betty s’occupait de sa maison et tenait compagnie à sa tante.
Marie allait chaque jour se promener seule en ville. Elle entrait dans chaque boutique, questionnait chaque personne croisée afin de se trouver un emploi qui lui permettrait de s’installer seule, sans plus avoir à subir le triste spectacle de cette famille en plein naufrage. Il était clair pour elle qu’elle ne pourrait pas se reconstruire dans cette ambiance si pesante, si malsaine, si pleine de non-dits et d’hypocrisie. Mais elle n’avait pas envie non plus de retourner chez elle, dans cet appartement plein de souvenir et où elle avait voulu mourir. Elle se sentait coincée, elle n’avait pas envie d’être où elle était et elle n’avait pas envie d’être ailleurs. Elle sentait bien que le problème ne tenait pas à un «ici» et la solution n’était pas dans l’ «ailleurs».
Elle remuait dans sa tête ces pensées sans avenir,  accoudée au bar des «Trois cochons» . Elle en était son troisième expresso, déprimée, à se demander si elle ne ferait pas mieux de commander des cognacs, histoire d’aller au fond du gouffre pour voir s’il y avait un plancher sur lequel prendre une impulsion pour remonter, quand un vilain chauve qui ramenait une mèche de cheveux jaunâtres sur son crâne, moustachu de surcroit, prit place à côté d’elle.
Excusez-moi madame, mais cela fait quelques jours que je vous croise ici et que j’ai envie de vous aborder. J’ai l’impression que je vous ai déjà vue quelque part mais je ne suis pas sûr de moi... Mais permettez-moi de vous offrir quelque chose à boire. Je suis maladroit, je m’appelle Michel Brancard, je travaille à la banque qui est juste à côté.
Marie regardait l’importun d’un oeil peu amène. Qu’est-ce qu’il lui voulait, celui-là ? Il était anti sexy au possible avec son imper beigeasse, sa gueule de plouc et son air de puer le saucisson à l’ail dès le réveil. Il n’avait rien d’autre à foutre que de venir l’emmerder ?
Qu’est-ce que tu me veux ? c’est quoi ce plan «gnagnagna madame gnagnagna permettez-moi gnagnagna» ? J’ai déjà un café devant moi et j’ai pas besoin qu’on m’en offre un.
Ouh..... pardon.....
Et il quitta le café.
Elle le regarda entrer dans la banque et replongea son regard au fond de sa tasse. Pouvait-elle lire son avenir dans le marc de café ?

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 12

L’humus formait un tapis sous leurs pieds, l’air frais semblait pénétrer directement dans la boite crânienne de Betty, et elle sentait son cerveau se décongestionner tout doucement. Elle releva ses cheveux pour mieux profiter de cette fraîcheur. Elle marchèrent longtemps en silence, chacune plongée dans ses pensées, quand Marie posa la question qui fait mal :
Il est parti où ton mari ?
Betty prit une grande inspiration de cet air si neuf, cala les mains au fond de ses poches, elle enfonçait ses ongles dans ses paumes. Pour une fois elle ne mentirait pas, elle aurait le courage de regarder sa honte en face. Avec Marie, qui en savait bien plus long qu’elle sur la triste nature humaine, elle pouvait.
Il est allé rejoindre une autre femme.
Marie s’arrêta net.
Quoi ? Il te trompe en plus, ce connard ?
Ne parle pas de mon mari comme ça ! Tu ne le connais pas. C’est un bon père de famille et il a besoin de moi. Il ne me quittera jamais.
Ben voyons, j’en ai entendu des conneries dans ma vie, mais alors celle-là, elle les dépasse toutes ! Tu te rends compte de ce que tu dis ? Il te déshonore et toi tu le défends !
Betty se mordait l’intérieur des joues pour ne pas pleurer et ne pas répondre non plus. Elle regrettait cet aveu. Elle pensait que Marie comprendrait ce type de situation, elle dont le métier encourageait les maris volages. Elle laissa donc sa tante soliloquer.
Mais ma pauvre Betty, quand il t’a épousée, il t’as juré fidélité il me semble. C’est une rupture de contrat et toi, ça ne te fait rien ! Il est détestable avec toi, il te traite comme sa gouvernante, et avec l’autre il est sans doute le plus délicieux des hommes. Tu lui appartiens, comme un objet. C’est triste quand-même. Tu lui as fait des enfants, tu as tout laissé tomber pour lui, tu t’occupes de sa maison, de lui, de sa bouffe, de ses fringues. Tu ne fais rien pour toi et quand tu oses le faire, il te le reproche. Ah c’est sûr ! il ne risque pas de te perdre, tu es son petit chien fidèle, toujours là, toujours contente de le voir revenir, contente quand il te fait une caresse et....
Arrête Marie, tu ne sais pas tout.
Betty ne pouvait plus se taire ni laisser insulter son mari et son couple.
J’ai voulu le quitter il y a cinq ans quand j’ai découvert ce qu’il faisait dans mon dos. Mais il a été si malheureux. Il a même dormi un soir devant la porte de la chambre, parce que je l’avais fermée à clé. Il m’aime tellement, tu sais. Et puis on se connaît depuis si longtemps, on a deux enfants ! Ce n’est pas si simple... On ne peut pas jeter les gens comme ça ! Ça ne se fait pas... Quand on s’engage, quand on se marie, on ne part pas si facilement !
Elle se tut un instant, soulevant les feuilles mortes du bout des pieds. Elle n’osait pas lui dire qu’elle n’avait aucune idée de ce que signifiait d’avoir une famille, de s’engager. Sa tante ne savait pas de quoi elle parlait. Elle était quand-même bien mal placée pour donner des leçons !
Marie de son côté comprenait que cela ne servirait à rien de provoquer sa nièce, qu’elle ne changerait rien à sa vie de merde, même si elle était affreusement malheureuse, même si son mari était le dernier des cons.

lundi 14 mai 2012

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 11

Betty ouvrit difficilement un oeil et le rai de lumière qui filtrait sous la porte suffit à lui donner mal à la tête. Elle n’avait aucune idée de l’heure mais elle se doutait que toute la maisonnée était déjà debout. Elle recouvrit avec le drap la culpabilité qui se réveillait elle aussi, se lever était pour le moment bien au-dessus de ses forces. Elle se rendormit avec le souvenir souriant et migraineux de sa folle soirée.
Il était déjà 11 heures quand elle reprit ses esprit et descendit timidement. Les enfants étaient chacun dans leur chambre à jouer avec leur console. Benoit était assis à la table de la cuisine. Visiblement il l’attendait. Il la fixait d’un oeil mauvais. Elle ne dit rien, se servit une tasse de café et prit une chaise face à lui en prenant soin d’éviter son regard.
Marie n’est pas encore descendue ? Je prends mon café et je prépare le repas. Mon dieu ! il est bientôt midi !
C’est quoi ces conneries ? Tu crois que tu as encore 18 ans ? Tu es rentrée saoule comme une barrique ! Tu pues l’alcool ma pauvre fille. Va te regarder dans le miroir cinq minutes, tu me fais pitié. Tu as oublié que tu avais une famille ? un mari et des enfants ? Tu comptes faire ça tout le temps qu’elle sera là ? Tu pers le sens commun ! pffff, à sortir avec cette.... trainée
Excuse-moi mon chéri, je me suis laissée entraîner... Ca ne m’arrive jamais d’habitude, tu le sais bien. Je vais... je vais préparer le repas.
Benoît se contenta d’un grognement et conserva son oeil accusateur. Sa femme, se bourrer la gueule en boite ! n’importe quoi ! Si ça trouve elle s’est frottée à des types sur la piste. Voilà ce que c’est d’avoir des putes dans la famille. Y doit y avoir un gène... Faut qu’elle dégage l’autre salope, où elle va tout foutre en l’air, une famille, sa famille, qu’il avait construite, qu’il nourrissait, qu’il chérissait !
Betty s’affairait en cuisine, tentant d’oublier la douleur qui pulsait sous son crâne. Elle était sincèrement désolée, elle ne craignait rien davantage que les colères de son mari. En même temps, elle n’arrivait pas à regretter sa soirée. Elle préparait des lasagnes, le plat préféré de Benoît, tout en se remémorant les fous rires avec Marie et Luce, les trois types au bar qui leur avaient offert à boire, les regards échangés, les paroles ambigües, et surtout la série de zouk... Elle n’avait jamais de sa vie dansé à ce point collée. Malgré elle elle souriait à sa bolognaise. C’était une bonne soirée et il n’y en a pas tant.
Elle était si absorbée dans ses pensées qu’elle n’entendit pas Marie entrer dans la cuisine.
Eh ben dis donc, sacrée soirée ! Il a l’air de faire la gueule ton bonhomme.
Betty sursauta :
Marie ! Tu m’as fait peur.
Elle se renfrogna et chuchota : «Oui, bonne soirée, mais je vais la payer maintenant...»

Le repas dominical se passa dans un silence de plomb. Même les enfants n’osaient pas faire leur chahut habituel. Ils se faisaient tout petits, comme à chaque fois que leur papa affichait cette mine. Ils savaient bien comment ses colères pouvaient se retourner contre eux. Dès la fin du repas, Benoît prit sa veste et partit sans dire un mot. Les enfants reçurent la providentielle visite de leurs petits voisins qui les invitaient à jouer chez eux . Betty les y autorisa avec plaisir, espérant qu’ils ne rentreraient pas trop tôt. Elle ne se demandait même pas où son mari était parti, elle n’avait que trop vécu ce genre de situations. Elle savait qu’il rentrerait une fois les enfants couchés, calmé et même peut-être un peu tendre.
Elle proposa à sa tante une balade en forêt.

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 10

Il fallut bien sûr passer chez le coiffeur avant d’aller déjeuner.
Alors qu’elles étaient attablées devant un pavé d’autruche bien cuit et un tartare de boeuf, Mary annonça à sa nièce la suite des réjouissances :
Alors ma chérie, cet après-midi, on va faire un peu de shopping, tu as bien besoin d’être relookée, tu t’habilles comme une mémé et ce soir, tu appelles une de tes amies - tu as bien des amies, non ? - et on sort entre filles.
Quel programme ! mais pour ce soir, je ne sais pas... Benoît aura passé la journée avec les enfants, il voudra peut-être sortir.
On verra ça avec lui tout à l’heure, termina Marie. On se prend un petit dessert ?
Je vais essayer d’appeler Luce. Elle va te plaire, c’est ma seule copine célibataire. Elle a divorcé il y a deux ans et elle adore faire la fête.
Le serveur arriva, un jeune homme à la peau chocolat et au sourire éclatant. Marie commença à badiner avec lui et finit par lui laisser un numéro de téléphone, faux.
Alors là, je ne comprends pas, s’étonna Betty, tu le dragues autant que tu peux et tu lui donnes un faux numéro ! Il faut que tu m’expliques. Tu n’es pas le genre de femme à ne pas aller au bout de ce que tu entreprends....
Détends-toi ma chérie... c’est pour consommer sur place.
Sur ces mots, Marie se leva, ébouriffa sa crinière, reposa théâtralement sa serviette sur la table et se dirigea vers les toilettes, non sans jeter au serveur une oeillade appuyée, plus qu’évocatrice.
Betty profita de l’absence de sa tante pour appeler rapidement son époux, qui pour une fois ne s’offusqua pas qu’elle abandonnât ainsi le domicile familial et passer un deuxième coup de fil un peu plus long à sa meilleure amie.
Luce était la personne qui connaissait le mieux Betty au monde. Elles s’étaient rencontrées sur les bancs de l’université et depuis elles ne s’étaient plus quittées. Luce était devenue journaliste au quotidien local et Betty avait bien vite renoncé à toute ambition professionnelle au profit de son foyer. Elles s’étaient confié tous leurs secrets, leurs déceptions, leurs espoirs. Luce était une des seules personnes à connaître l’existence de Marie, son métier et le lien qui l’unissait à sa nièce. Elle accepta avec grand plaisir l’invitation pour la soirée et leur donna rendez-vous dans le seul bar branché de la petite ville : le Malone’s.
Un quart d’heure plus tard, Marie revint s’installer à table. Elle but d’un trait son verre d’eau, soupira et lâcha :
Tu n’imagines même pas ce que je viens d’avoir dans la bouche !
Betty baissa la tête, elle sentait qu’elle rougissait. Elle aurait aimé disparaître sous la table tellement elle avait honte. En même temps, elle fut saisie d’un rire nerveux qui secouait tout le haut de son corps et de temps en temps elle poussait un petit cri aigü, reste d’éclat de rire qui surgissait bien malgré elle.
Arrête ! Tout le monde te regarde, la sermonna Marie en souriant.
D’un geste, elle appela le serveur, régla l’addition et laissa un pourboire généreux, sans doute pour le service attentionné dont elle avait été bénéficiaire.

mercredi 6 juillet 2011

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 9

Marie avait la ferme intention de se venger de l’assaut de Benoît en lui prenant sa femme. Qu’il soit coureur ne la dérangeait pas, mais qu’il force les femmes, elle ne pouvait l’accepter.
- Pour commencer ma chérie, détente... annonça Marie, tu en as bien besoin.
- Mais le SPA Royal est affreusement cher...
- Tu y es déjà allée ?
- Ben non.
- Je t’invite !

Pendant que Marie s’occupait des soins proposés avec la réceptionniste, Betty était confortablement calée dans un fauteuil bas et admirait le superbe décor marocain. Elle souriait. Jamais encore elle n’était entrée là, trop onéreux pour une mère de famille. Au début, elle avait juste posé le bout des fesses sur le siège, puis elle avait fini par se laisser aller sur les coussins moirés. Elle se disait que finalement la visite de Marie était une bénédiction : elle lui faisait découvrir sa propre ville, elle lui offrait une pause dans sa vie trop réglée, trop prévisible.
Elle fut tirée de sa rêverie par l’invite d’une esthéticienne en djellabah qui l’invitait à passer au vestiaire. Elle y retrouva Marie, nue comme un ver, prête à passer le peignoir de l’institut. Elle était encore très belle malgré sa cinquantaine d’années et son millier d’amants. Betty se sentit gênée de se dévêtir, elle dont les seins exposaient les allaitements et dont le corps affichait le manque de soin et de tendresse. Elle était sèche, du dehors comme du dedans. Marie lui tendit un peignoir taupe, lui tint les épaules et murmura :
- Détends-toi ma belle, je t’emmène en orient.
Très vite débarrassées de leurs peignoirs, elles se retrouvèrent dans un hammam brouillardeux, chaud et moite. Marie s’installa sur l’un des bancs en mosaïque qui courait le long des murs, allongée. Elle fixa ses yeux sur le plafond piqué d’étoiles électriques qui s’allumaient pas intermittence, un sourire béat aux lèvres. Betty s’assit un peu plus loin, très droite, visiblement gênée par la touffeur ambiante. Elle ne cessait de passer ses mains sur son cou et son décolleté pour essuyer la sueur. Elle détestait vraiment cela, la sueur, et celle-ci dégoulinait particulièrement. Elle avait de la gêne à respirer, à voir, à sentir son corps moite et suintant. Tout cela était très inconfortable pour elle. Elle tenta de se détendre, pour rester polie vis-à-vis de Marie qui faisait tout son possible pour lui faire plaisir. Elle tenta donc de rester immobile, essayant d’oublier la sueur qui coulait le long de son corps. Elle sentit une goutte derrière son oreille, qui coula doucement le long de son cou, elle fit des efforts incroyables pour ne pas l’essuyer et lorsqu’elle arriva le long de sa poitrine puis entre ses seins, elle eut un sursaut et se leva d’un bond. En deux pas, elle sortit du hammam et enfila le peignoir dans lequel elle se pelotonna en frissonnant de dégoût. Marie la rejoignit et la prit dans ses bras :
- C’est rien, tu as eu un coup de chaud, ça arrive quand on n’a pas l’habitude. De toute façon on a assez macéré la-dedans. On passe à la suite.
Deux employées les prirent en charge. Betty entra dans une minuscule pièce rectangulaire aux murs sombres. Contre le mur du fond il y avait un miroir et un petit lavabo de pierre. Au centre une table en granit sur laquelle on l’invita à s’allonger. Elle retira son peignoir et s’installa sur la table, plutôt gênée par sa nudité. L’employée lui passa du savon noir sur tout le corps, des orteils à la nuque. Ses mains étaient douces et un peu molles. Betty se sentit troublée de prendre plaisir à se faire ainsi laver, cela faisait si longtemps que personne n’avait touché son corps avec tant de douceur. Benoît ne lui touchait que les parties intimes, et sans ménagement la plupart du temps. Mais c’était son devoir d’épouse de se soumettre aux désirs de celui qu’elle avait choisi pour la vie. Si au moins cette complaisance avait pu la mettre à l’abri de l’infidélité... Elle apprécia la caresse de l’eau tiède qui coulait sur elle pour la rincer.
Puis l’esthéticienne enfila un gant noir, et se mit à la masser, sans ménagement. Au début, Betty trouva cela douloureux, mais elle n’osa bien sûr rien dire. Puis elle se laissa aller à ce gommage vigoureux, et trouva enfin le plaisir tapi dans la chaleur dégagée par ces frottements énergiques sur tout son épiderme. Lorsque le massage se termina, elle se sentit enfin détendue. L’enveloppement d’argile qui suivit répandait ses effluves de rose dans toute la pièce. Betty ne cessait de sourire, elle gardait les yeux fermés, pour mieux profiter de l’instant. La table chauffait légèrement son dos, elle s’imaginait sur une plage, seule avec le soleil.
Quand elle rejoignit Marie dans le jacuzzi, elle se sentait enfin bien. Elle raconta à Marie ce qu’elle venait de vivre et Marie l’écouta avec bienveillance.
- Tu sais, lui répondit-elle, c’est quelque chose que tu devrais t’offrir de temps en temps. Moi j’y allais une fois par semaine, quand je tournais. Ca te décrasse le corps et l’esprit.
Betty comprit alors que son corps et son esprit n’étaient pas plus propres que ceux de sa tante.
Elles savourèrent un thé à la menthe accompagné de douceurs au miel avant d’aller se rhabiller.

mardi 5 juillet 2011

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 8

Quelques dix jours après la résurrection fugace de la passion conjugale, le calme mâtiné d’amertume qui faisait le quotidien de la famille s’était réinstallé. Un soir, alors que Betty, particulièrement fatiguée par la gestion de sa famille et le zèle qu’elle mettait à formater sa tante au milieu bourgeois, était montée se coucher avec un roman, Benoît partageait un dernier verre celle que les enfants appelaient désormais «tata mimi». Le chassagne-montrachet mêlait ses arômes de miel et d’amande à l’éclat des yeux de Marie. L’esprit embrumé de Benoît se plaisait à voguer vers le vert paradis des amours enfantines, qui correspondait pour lui à la belle époque de l’ex-actrice porno. Après avoir épuisé les sujets les plus courants, les enfants, la famille, la discussion se porta sur le métier de Benoît puis tout naturellement, dans un esprit de réciprocité propre aux bavardages mondains, sur la profession de Marie.
Elle, qui se voyait actrice et artiste, répondait sans pudeur aux questions de son presque neveu. Elle lui racontait ses meilleurs moments, les pires, les douleurs et les fous-rires. Les lieux de tournage les plus beaux comme certaines plages de Guadeloupe et les plus incongrus comme le chantier naval de Saint Nazaire. Elle lui parla des prises de bec entre actrices et des rivalités, des mesquineries et autres coups en douce qu’elles pouvaient se faire. Elle raconta aussi les mycoses et autres champignons. Elle raconta encore les performances : le pipi, le caca, les accessoires inimaginables comme les fucking-machines, les positions acrobatiques que seules quelques unes étaient capables de tenir. Elle avait aimé cette vie sous les projecteurs, elle avait mené une brillante carrière.
Elle raconta aussi l’amour, mais sans entrer dans les détails. Elle savait que Julien avait été son plus grand bonheur et sa plus terrible souffrance. Il fallait juste l’oublier.
Comme elle évoquait cette amour défunte, une larme de vin blanc perla au coin de son oeil. Benoît y vit une invitation à la consoler. L’oeil concupiscent mais la main amicale, il prit Marie par l’épaule et la laissa s’épancher contre son buste. Elle se laissa aller à pleurer franchement, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années en présence d’un autre être humain. Alors, encouragé par l’alcool, il la caressa avec plus d’insistance et moins d’amitié. Lorsqu’il tenta de glisser son doigt dans sa culotte, par-dessous la micro jupe, Marie eut une sorte de haut le corps, se recula d’un coup, éberluée, et, pleurant de plus belle, courut jusque dans sa chambre. Benoît n’y comprenait rien : c’était bien la première salope qui ne se laissait pas faire. Fort du pouvoir de son sexe, il lécha le doigt duquel il avait touché son rêve et se servit le fond de la bouteille avant d’aller rejoindre le lit conjugal.

Cette nuit-là, Marie ne dormit pas. Elle pleura une fois de plus toutes les larmes de son corps surmené. Elle se sentait salie, trahie, meurtrie. Jamais on ne l’avait touchée de force depuis ce moustachu en Allemagne alors qu’elle rejoignait son auberge de jeunesse après une soirée en discothèque. Elle avait 14 ans.

A 6 heures, Betty la trouva dans la cuisine. Le café était fait, la table mise. Marie était vêtue d’un jean non déchiré, à la taille extrêmement basse et d’un t-shirt Tomaxxx indécodable pour la trop rangée Betty. Elle avait déjà bu deux ou trois cafés et ses yeux cernés s’amusaient de l’expression eberluée de sa nièce.

- Mais, Marie, qu’est-ce qui se passe ? Tu es tombée du lit ?
- C’est presque ça ma chérie... j’ai décidé de passer la journée avec toi. C’est samedi et je suis sûre que ton mari voudra bien garder les enfants.
- Mais...
- Pas de «mais» ! Tu es avec moi aujourd’hui.

Devant le ton péremptoire de Marie, Betty ne put que s’incliner. Comprenant qu’elle ne pourrait se soustraire à cette journée aventureuse - car tout ce qui sortait de son quotidien ordinaire était par définition extra-ordinaire et vécu comme tel. L’idée de passer une journée hors de sa vie la faisait sourire et l’excitait un peu : qu’est-ce que Marie avait encore imaginé ?
A 8 heures et demi, Benoît fit son apparition dans la cuisine. Il embrassa sa femme sur la joue et lança à marie un «bonjour» faux. Il semblait d’humeur chafouine et Betty craignait qu’il ne lui interdise de sortir. Ce fut Marie qui d’emblée prit les choses en main. Elle planta son regard sur les yeux de l’infâme, plongés dans son café, avec une telle acuité qu’elle l’obligea à lever la tête.

- Mon cher neveu, c’est samedi aujourd’hui, tu ne travailles pas ?
- Non, mais...
- J’ai entendu que Valérie voulait un nouveau blouson et que Quentin avait envie de manger au Quick. Il va falloir les emmener au centre commercial. Et un petit ciné leur ferait sûrement plaisir...
- Pas de problème, Marie. Allez-y, moi, j’ai des affaires administratives à régler avec la sécu, bredouilla-t-il, gêné.
- Non non, tu ne me suis pas, Benoît. C’est toi qui va les emmener faire tout ça...

Comme Betty était tournée vers le lave-vaisselle, Marie durcit son regard et tendit bien droit un majeur menaçant devant son nez, en faisant légèrement tourner son poignet. Benoît toussa légèrement, il avait avalé son café de travers. L’éructation fit se retourner Betty qui put voir sa tante caresser familièrement le dos de son mari. Elle sourit à ce geste affectueux. Elle était heureuse de voir que les relations entre ces deux personnes n’avait rien que d’amical. Quand Benoît eut retrouvé son souffle et sa voix, il dit tout simplement, quoique fort bas :

- Pas de problème. Allez vous amuser entre filles, vous avez besoin de vous retrouver un peu. Je m’occuperai de mes paperasses plus tard. Mais... pas de bêtises, hein ? Soyez sages...
Il lança un clin d’oeil à Marie, protégé par la présence de sa femme à laquelle il sourit, l’air mutin.Betty pouffa dans son torchon.

Enfin, Quentin vint se mettre à la table du petit-déjeuner. Il avait un appétit d’ogre le matin et Marie s’amusait à lui beurrer ses tartines qu’elle nappait ensuite d’une belle couche de confiture de fraise. Il sauta de joie quand celle-ci lui annonça le programme de la journée avec son papa. Il colla à tous ceux qui étaient réveillés un énorme baiser collant et repartit bien vite à ses tartines. Son cri de joie fit venir l’adolescente, qui affichait la mine réjouie des treize ans qui commençaient à fleurir sur ses joues et son front. Les cheveux en bataille, l’air renfrogné comme jamais, elle cracha :
- Qu’est-ce qu’il a le débile ? Il croit que c’est déjà Noël ?
- Valérie ! Un peu de respect pour ton petit frère s’il te plaît ! cria Betty.

Benoît quitta la pièce, assommé à l’idée de passer une journée à gérer les conflits fraternels et à entendre les récriminations de l’une et les désirs pressants de l’autre. Il s’enferma dans les toilettes, tira de la poche de son pantalon son téléphone qui ne le quittait jamais et composa un message en soupirant : Ne m’attends pas. Je ne pourrai pas venir cet après-midi. Je t’appelle. Tendre baiser. ♥ La famille, c’est sacré. Il l’avait prévenue.

Pendant ce temps, Marie et Betty exposaient à Valérie ce qu’elle risquait de manquer si elle n’adoucissait pas le ton de sa voix. L’adolescente intéressée reçut le message 5 sur 5 et se transforma en un rien de temps en ce qui ressemblait à une petite fille modèle, absorbée par la liste de dépenses qu’elle prévoyait mentalement pour son père.

Betty contourna le bar et retira l’éponge de la main de Betty.
- Va t’habiller. Et pas en bonne soeur, hein !
Docile et un peu nerveuse, Betty alla se préparer. Elle avait envie de faire des bonds, un sourire immense fendait son visage de mère lasse. Elle passa une robe de coton léger qui mettait en valeur son corps svelte et laissa ses cheveux lâchés. Elle enfila une paire de trotteurs, mis un peu de gloss qu’elle piqua dans la chambre de Valérie et se présenta à sa tante qui l’attendait, assise sur le canapé, fin prête comme toujours.