mercredi 6 juillet 2011

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 9

Marie avait la ferme intention de se venger de l’assaut de Benoît en lui prenant sa femme. Qu’il soit coureur ne la dérangeait pas, mais qu’il force les femmes, elle ne pouvait l’accepter.
- Pour commencer ma chérie, détente... annonça Marie, tu en as bien besoin.
- Mais le SPA Royal est affreusement cher...
- Tu y es déjà allée ?
- Ben non.
- Je t’invite !

Pendant que Marie s’occupait des soins proposés avec la réceptionniste, Betty était confortablement calée dans un fauteuil bas et admirait le superbe décor marocain. Elle souriait. Jamais encore elle n’était entrée là, trop onéreux pour une mère de famille. Au début, elle avait juste posé le bout des fesses sur le siège, puis elle avait fini par se laisser aller sur les coussins moirés. Elle se disait que finalement la visite de Marie était une bénédiction : elle lui faisait découvrir sa propre ville, elle lui offrait une pause dans sa vie trop réglée, trop prévisible.
Elle fut tirée de sa rêverie par l’invite d’une esthéticienne en djellabah qui l’invitait à passer au vestiaire. Elle y retrouva Marie, nue comme un ver, prête à passer le peignoir de l’institut. Elle était encore très belle malgré sa cinquantaine d’années et son millier d’amants. Betty se sentit gênée de se dévêtir, elle dont les seins exposaient les allaitements et dont le corps affichait le manque de soin et de tendresse. Elle était sèche, du dehors comme du dedans. Marie lui tendit un peignoir taupe, lui tint les épaules et murmura :
- Détends-toi ma belle, je t’emmène en orient.
Très vite débarrassées de leurs peignoirs, elles se retrouvèrent dans un hammam brouillardeux, chaud et moite. Marie s’installa sur l’un des bancs en mosaïque qui courait le long des murs, allongée. Elle fixa ses yeux sur le plafond piqué d’étoiles électriques qui s’allumaient pas intermittence, un sourire béat aux lèvres. Betty s’assit un peu plus loin, très droite, visiblement gênée par la touffeur ambiante. Elle ne cessait de passer ses mains sur son cou et son décolleté pour essuyer la sueur. Elle détestait vraiment cela, la sueur, et celle-ci dégoulinait particulièrement. Elle avait de la gêne à respirer, à voir, à sentir son corps moite et suintant. Tout cela était très inconfortable pour elle. Elle tenta de se détendre, pour rester polie vis-à-vis de Marie qui faisait tout son possible pour lui faire plaisir. Elle tenta donc de rester immobile, essayant d’oublier la sueur qui coulait le long de son corps. Elle sentit une goutte derrière son oreille, qui coula doucement le long de son cou, elle fit des efforts incroyables pour ne pas l’essuyer et lorsqu’elle arriva le long de sa poitrine puis entre ses seins, elle eut un sursaut et se leva d’un bond. En deux pas, elle sortit du hammam et enfila le peignoir dans lequel elle se pelotonna en frissonnant de dégoût. Marie la rejoignit et la prit dans ses bras :
- C’est rien, tu as eu un coup de chaud, ça arrive quand on n’a pas l’habitude. De toute façon on a assez macéré la-dedans. On passe à la suite.
Deux employées les prirent en charge. Betty entra dans une minuscule pièce rectangulaire aux murs sombres. Contre le mur du fond il y avait un miroir et un petit lavabo de pierre. Au centre une table en granit sur laquelle on l’invita à s’allonger. Elle retira son peignoir et s’installa sur la table, plutôt gênée par sa nudité. L’employée lui passa du savon noir sur tout le corps, des orteils à la nuque. Ses mains étaient douces et un peu molles. Betty se sentit troublée de prendre plaisir à se faire ainsi laver, cela faisait si longtemps que personne n’avait touché son corps avec tant de douceur. Benoît ne lui touchait que les parties intimes, et sans ménagement la plupart du temps. Mais c’était son devoir d’épouse de se soumettre aux désirs de celui qu’elle avait choisi pour la vie. Si au moins cette complaisance avait pu la mettre à l’abri de l’infidélité... Elle apprécia la caresse de l’eau tiède qui coulait sur elle pour la rincer.
Puis l’esthéticienne enfila un gant noir, et se mit à la masser, sans ménagement. Au début, Betty trouva cela douloureux, mais elle n’osa bien sûr rien dire. Puis elle se laissa aller à ce gommage vigoureux, et trouva enfin le plaisir tapi dans la chaleur dégagée par ces frottements énergiques sur tout son épiderme. Lorsque le massage se termina, elle se sentit enfin détendue. L’enveloppement d’argile qui suivit répandait ses effluves de rose dans toute la pièce. Betty ne cessait de sourire, elle gardait les yeux fermés, pour mieux profiter de l’instant. La table chauffait légèrement son dos, elle s’imaginait sur une plage, seule avec le soleil.
Quand elle rejoignit Marie dans le jacuzzi, elle se sentait enfin bien. Elle raconta à Marie ce qu’elle venait de vivre et Marie l’écouta avec bienveillance.
- Tu sais, lui répondit-elle, c’est quelque chose que tu devrais t’offrir de temps en temps. Moi j’y allais une fois par semaine, quand je tournais. Ca te décrasse le corps et l’esprit.
Betty comprit alors que son corps et son esprit n’étaient pas plus propres que ceux de sa tante.
Elles savourèrent un thé à la menthe accompagné de douceurs au miel avant d’aller se rhabiller.

mardi 5 juillet 2011

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 8

Quelques dix jours après la résurrection fugace de la passion conjugale, le calme mâtiné d’amertume qui faisait le quotidien de la famille s’était réinstallé. Un soir, alors que Betty, particulièrement fatiguée par la gestion de sa famille et le zèle qu’elle mettait à formater sa tante au milieu bourgeois, était montée se coucher avec un roman, Benoît partageait un dernier verre celle que les enfants appelaient désormais «tata mimi». Le chassagne-montrachet mêlait ses arômes de miel et d’amande à l’éclat des yeux de Marie. L’esprit embrumé de Benoît se plaisait à voguer vers le vert paradis des amours enfantines, qui correspondait pour lui à la belle époque de l’ex-actrice porno. Après avoir épuisé les sujets les plus courants, les enfants, la famille, la discussion se porta sur le métier de Benoît puis tout naturellement, dans un esprit de réciprocité propre aux bavardages mondains, sur la profession de Marie.
Elle, qui se voyait actrice et artiste, répondait sans pudeur aux questions de son presque neveu. Elle lui racontait ses meilleurs moments, les pires, les douleurs et les fous-rires. Les lieux de tournage les plus beaux comme certaines plages de Guadeloupe et les plus incongrus comme le chantier naval de Saint Nazaire. Elle lui parla des prises de bec entre actrices et des rivalités, des mesquineries et autres coups en douce qu’elles pouvaient se faire. Elle raconta aussi les mycoses et autres champignons. Elle raconta encore les performances : le pipi, le caca, les accessoires inimaginables comme les fucking-machines, les positions acrobatiques que seules quelques unes étaient capables de tenir. Elle avait aimé cette vie sous les projecteurs, elle avait mené une brillante carrière.
Elle raconta aussi l’amour, mais sans entrer dans les détails. Elle savait que Julien avait été son plus grand bonheur et sa plus terrible souffrance. Il fallait juste l’oublier.
Comme elle évoquait cette amour défunte, une larme de vin blanc perla au coin de son oeil. Benoît y vit une invitation à la consoler. L’oeil concupiscent mais la main amicale, il prit Marie par l’épaule et la laissa s’épancher contre son buste. Elle se laissa aller à pleurer franchement, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années en présence d’un autre être humain. Alors, encouragé par l’alcool, il la caressa avec plus d’insistance et moins d’amitié. Lorsqu’il tenta de glisser son doigt dans sa culotte, par-dessous la micro jupe, Marie eut une sorte de haut le corps, se recula d’un coup, éberluée, et, pleurant de plus belle, courut jusque dans sa chambre. Benoît n’y comprenait rien : c’était bien la première salope qui ne se laissait pas faire. Fort du pouvoir de son sexe, il lécha le doigt duquel il avait touché son rêve et se servit le fond de la bouteille avant d’aller rejoindre le lit conjugal.

Cette nuit-là, Marie ne dormit pas. Elle pleura une fois de plus toutes les larmes de son corps surmené. Elle se sentait salie, trahie, meurtrie. Jamais on ne l’avait touchée de force depuis ce moustachu en Allemagne alors qu’elle rejoignait son auberge de jeunesse après une soirée en discothèque. Elle avait 14 ans.

A 6 heures, Betty la trouva dans la cuisine. Le café était fait, la table mise. Marie était vêtue d’un jean non déchiré, à la taille extrêmement basse et d’un t-shirt Tomaxxx indécodable pour la trop rangée Betty. Elle avait déjà bu deux ou trois cafés et ses yeux cernés s’amusaient de l’expression eberluée de sa nièce.

- Mais, Marie, qu’est-ce qui se passe ? Tu es tombée du lit ?
- C’est presque ça ma chérie... j’ai décidé de passer la journée avec toi. C’est samedi et je suis sûre que ton mari voudra bien garder les enfants.
- Mais...
- Pas de «mais» ! Tu es avec moi aujourd’hui.

Devant le ton péremptoire de Marie, Betty ne put que s’incliner. Comprenant qu’elle ne pourrait se soustraire à cette journée aventureuse - car tout ce qui sortait de son quotidien ordinaire était par définition extra-ordinaire et vécu comme tel. L’idée de passer une journée hors de sa vie la faisait sourire et l’excitait un peu : qu’est-ce que Marie avait encore imaginé ?
A 8 heures et demi, Benoît fit son apparition dans la cuisine. Il embrassa sa femme sur la joue et lança à marie un «bonjour» faux. Il semblait d’humeur chafouine et Betty craignait qu’il ne lui interdise de sortir. Ce fut Marie qui d’emblée prit les choses en main. Elle planta son regard sur les yeux de l’infâme, plongés dans son café, avec une telle acuité qu’elle l’obligea à lever la tête.

- Mon cher neveu, c’est samedi aujourd’hui, tu ne travailles pas ?
- Non, mais...
- J’ai entendu que Valérie voulait un nouveau blouson et que Quentin avait envie de manger au Quick. Il va falloir les emmener au centre commercial. Et un petit ciné leur ferait sûrement plaisir...
- Pas de problème, Marie. Allez-y, moi, j’ai des affaires administratives à régler avec la sécu, bredouilla-t-il, gêné.
- Non non, tu ne me suis pas, Benoît. C’est toi qui va les emmener faire tout ça...

Comme Betty était tournée vers le lave-vaisselle, Marie durcit son regard et tendit bien droit un majeur menaçant devant son nez, en faisant légèrement tourner son poignet. Benoît toussa légèrement, il avait avalé son café de travers. L’éructation fit se retourner Betty qui put voir sa tante caresser familièrement le dos de son mari. Elle sourit à ce geste affectueux. Elle était heureuse de voir que les relations entre ces deux personnes n’avait rien que d’amical. Quand Benoît eut retrouvé son souffle et sa voix, il dit tout simplement, quoique fort bas :

- Pas de problème. Allez vous amuser entre filles, vous avez besoin de vous retrouver un peu. Je m’occuperai de mes paperasses plus tard. Mais... pas de bêtises, hein ? Soyez sages...
Il lança un clin d’oeil à Marie, protégé par la présence de sa femme à laquelle il sourit, l’air mutin.Betty pouffa dans son torchon.

Enfin, Quentin vint se mettre à la table du petit-déjeuner. Il avait un appétit d’ogre le matin et Marie s’amusait à lui beurrer ses tartines qu’elle nappait ensuite d’une belle couche de confiture de fraise. Il sauta de joie quand celle-ci lui annonça le programme de la journée avec son papa. Il colla à tous ceux qui étaient réveillés un énorme baiser collant et repartit bien vite à ses tartines. Son cri de joie fit venir l’adolescente, qui affichait la mine réjouie des treize ans qui commençaient à fleurir sur ses joues et son front. Les cheveux en bataille, l’air renfrogné comme jamais, elle cracha :
- Qu’est-ce qu’il a le débile ? Il croit que c’est déjà Noël ?
- Valérie ! Un peu de respect pour ton petit frère s’il te plaît ! cria Betty.

Benoît quitta la pièce, assommé à l’idée de passer une journée à gérer les conflits fraternels et à entendre les récriminations de l’une et les désirs pressants de l’autre. Il s’enferma dans les toilettes, tira de la poche de son pantalon son téléphone qui ne le quittait jamais et composa un message en soupirant : Ne m’attends pas. Je ne pourrai pas venir cet après-midi. Je t’appelle. Tendre baiser. ♥ La famille, c’est sacré. Il l’avait prévenue.

Pendant ce temps, Marie et Betty exposaient à Valérie ce qu’elle risquait de manquer si elle n’adoucissait pas le ton de sa voix. L’adolescente intéressée reçut le message 5 sur 5 et se transforma en un rien de temps en ce qui ressemblait à une petite fille modèle, absorbée par la liste de dépenses qu’elle prévoyait mentalement pour son père.

Betty contourna le bar et retira l’éponge de la main de Betty.
- Va t’habiller. Et pas en bonne soeur, hein !
Docile et un peu nerveuse, Betty alla se préparer. Elle avait envie de faire des bonds, un sourire immense fendait son visage de mère lasse. Elle passa une robe de coton léger qui mettait en valeur son corps svelte et laissa ses cheveux lâchés. Elle enfila une paire de trotteurs, mis un peu de gloss qu’elle piqua dans la chambre de Valérie et se présenta à sa tante qui l’attendait, assise sur le canapé, fin prête comme toujours.

lundi 4 juillet 2011

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 7

Quelques dix jours après la résurrection fugace de la passion conjugale, le calme mâtiné d’amertume qui faisait le quotidien de la famille s’était réinstallé. Un soir, alors que Betty, particulièrement fatiguée par la gestion de sa famille et le zèle qu’elle mettait à formater sa tante au milieu bourgeois, était montée se coucher avec un roman, Benoît partageait un dernier verre avec celle que les enfants appelaient désormais «tata mimi». Le chassagne-montrachet mêlait ses arômes de miel et d’amande à l’éclat des yeux de Marie. L’esprit embrumé de Benoît se plaisait à voguer vers le vert paradis des amours enfantines, qui correspondait pour lui à la belle époque de l’ex-actrice porno. Après avoir épuisé les sujets les plus courants, les enfants, la famille, la discussion se porta sur le métier de Benoît puis tout naturellement, dans un esprit de réciprocité propre aux bavardages mondains, sur la profession de Marie.
Elle, qui se voyait actrice et artiste, répondait sans pudeur aux questions de son presque neveu. Elle lui racontait ses meilleurs moments, les pires, les douleurs et les fous-rires. Les lieux de tournage les plus beaux comme certaines plages de Guadeloupe et les plus incongrus comme le chantier naval de Saint Nazaire. Elle lui parla des prises de bec entre actrices et des rivalités, des mesquineries et autres coups en douce qu’elles pouvaient se faire. Elle raconta aussi les mycoses et autres champignons. Elle raconta encore les performances : le pipi, le caca, les accessoires inimaginables comme les fucking-machines, les positions acrobatiques que seules quelques unes étaient capables de tenir. Elle avait aimé cette vie sous les projecteurs, elle avait mené une brillante carrière.
Elle raconta aussi l’amour, mais sans entrer dans les détails. Elle savait que Julien avait été son plus grand bonheur et sa plus terrible souffrance. Il fallait juste l’oublier.
Comme elle évoquait cette amour défunte, une larme de vin blanc perla au coin de son oeil. Benoît y vit une invitation à la consoler. L’oeil concupiscent mais la main amicale, il prit Marie par l’épaule et la laissa s’épancher contre son buste. Elle se laissa aller à pleurer franchement, ce qu’elle n’avait pas fait depuis des années en présence d’un autre être humain. Alors, encouragé par l’alcool, il la caressa avec plus d’insistance et moins d’amitié. Lorsqu’il tenta de glisser son doigt dans sa culotte, par-dessous la micro jupe, Marie eut une sorte de haut le corps, se recula d’un coup, éberluée, et, pleurant de plus belle, courut jusque dans sa chambre. Benoît n’y comprenait rien : c’était bien la première salope qui ne se laissait pas faire. Fort du pouvoir de son sexe, il lécha le doigt duquel il avait touché son rêve et se servit le fond de la bouteille avant d’aller rejoindre le lit conjugal.

dimanche 3 juillet 2011

Numquamne familia mea quieta erit ? Episode 6

- Attends-moi là, j’en ai pour 5 minutes.
Betty avait tourné un bout de temps dans le quartier avant de trouver la place idéale, au fond d’une allée, derrière l’école. Elle avait laissé sa tante poireauter dans la voiture, au cas où un parent d’élève l’aurait reconnue.
Elle l’aimait vraiment bien sa tante Marie, son exubérance la faisait rire. Elle était tout ce qu’elle n’avait jamais osé être. Mais de là à sortir en public avec elle, il y avait un pas qu’elle n’était pas prête à franchir...
Betty rejoignait à pas pressés la foule des parents qui attendait devant l’école. Elle en connaissait quelques uns qu’elle salua poliment. Elle serra des mains, fit quelques bises. Ces gens n’étaient pas ses amis mais elle entretenait ces relations avec les autres parents par amour pour ses enfants, persuadée que leurs amitiés étaient conditionnées aux siennes. Il faisait plutôt frais, le vent de novembre s’était levé et semblait s’être installé dans les rues étroites de la petite ville. Betty serra un peu plus les pans de sa veste, elle détestait le froid, surtout le vent qui s’engouffre sous les vêtements sans qu’on puisse rien y faire. Elle détestait la chaleur aussi, d’ailleurs. La sueur était sans doute la chose qui la dégoûtait le plus au monde.
Lorsque le portail s’ouvrit enfin, elle laissa passer la foule de ceux qui se précipitent quand on leur ouvre la porte, sans savoir vraiment pourquoi, dans un élan grégaire qu’elle avait toujours méprisé. Elle entra tranquillement dans l’école et se dirigea vers la classe de son Quentin. Comme chaque jour, elle prit le temps de demander à l'institutrice comment la journée s’était passée, puis elle ressortit, son fils à la main, écoutant attentivement le récit de ses exploits du jour.
Le retour à la fraîcheur de la rue fut plutôt brutal : de l’autre côté du trottoir, tatie Marie leur faisait de grands signes et appelait de sa plus haute voix «Quentinououououou !».
Betty crut mourir de honte. Elle aurait dû l’enfermer dans la voiture ! Les parents qui sillonnaient les trottoirs alentour ne pouvaient s’empêcher de jeter un oeil curieux, amusé, choqué, libidineux sur Marie qui visiblement ne craignait pas tant le froid que sa nièce.
Quentin quant à lui, à mille lieues de ces considérations bien pensantes, courut vers sa grand-tante qui lui colla un généreux baiser sur la joue et le prit par la main. Betty hurla comme une bête blessée lorsqu’il traversa la rue en courant, laquelle était d’ailleurs tellement embouteillée que les voitures ne bougeaient pas d’un pouce. Le cri de la mère apeurée n’eut donc d’autre effet que de focaliser toutes les attentions sur les joyeuses retrouvailles de Marie et Quentin.
Pourquoi tu t’es garée si loin maman ?
Betty ne répondit pas. Elle marchait les dents serrées derrière sa tante et son fils qui devisaient joyeusement, main dans la main. Les enfants ont cette chance de savoir accueillir et accepter sans juger.

Marie sentait bien que Betty était gênée par sa présence. Elle se sentait comme une enfant prise en faute à chaque regard que lui lançait sa nièce. Elle n’avait pas les bonnes manières, pas le bon langage, pas l’air qu’il fallait et nulle part d’autre où aller. Tout le monde lui avait tourné le dos, à elle qui l’avait si souvent tendu aux autres. Elle n’était pas stupide, elle voyait bien ce qui se passait mais elle n’avait pas le choix : elle devait coûte que coûte se faire accepter dans cette famille le temps de se refaire, le temps que son avocat lui récupère ses biens et qu’elle puisse repartir vivre sa vie. En attendant, elle était bien décidée à décoincer tout ce petit monde, et surtout sa cul-cousue de nièce qui voulait régenter la vie de chacun. Elle se croyait bien supérieure la petit Betty avec sa belle maison, ses charmants enfants, son séduisant mari et avec son prénom de pute trisomique !
Marie en connaissait long sur la vie. Elle savait ce que c’était que de travailler pour vivre, de travailler dur pour réussir. Et en un sens, elle avait réussi, seule. Seule elle avait construit sa carrière, elle était devenue célèbre et aimée. Elle s’était levé le cul pour gagner son fric, elle ne devait rien à personne. Combien de fois elle avait pleuré d’épuisement à la fin d’une journée de travail, où son corps malmené la faisait terriblement souffrir, lui rappelant le vrai sens de ce mot : travail. Combien de fois elle avait manqué s’évanouir dans les toilettes, au rappel douloureux de son anus surmené. Combien de fois elle s’était gavée de glace et de tranxene pour faire taire tout ce qui criait en elle.
Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Elle était devenue riche, elle avait beaucoup d’amis et d’admirateurs. Elle faisait la fête très souvent. On l’invitait partout. Jusqu’au jour où elle trouva en Julien l’apaisement, la compréhension, la tendresse, la compassion. Elle n’était plus seule le soir dans son lit. Quelqu’un l’attendait, enfin. Elle connut les baisers et les caresses désintéressées, les confidences sur l’oreiller et les soirées à regarder la télévision.
Elle travaillait toujours autant, mais son Julien l’épaulait, la rassurait.
Pour rien au monde elle n’aurait laissé fuir ce bonheur-là. Cet homme était son homme. Elle l’aimait.
Puis il vida un à un tous ses comptes et sortit de sa vie comme il était apparu, tel un songe. Alors les larmes revinrent, et la douleur. Elle fit tout ce qu’elle put pour quitter ce monde et arriva chez Betty, l’ultime recours, la roue de secours.


Cela faisait une semaine que Marie vivait chez les Guerier-Rocquebert et ce matin, elle avait décidé de prendre sa journée en main. Elle se leva d’excellente humeur et trouva comme à son habitude sa nièce affairée dans la cuisine, lavant, épluchant, coupant en vue du déjeuner. Elle prit place sur le tabouret en face du plan de travail et la regarda en silence tout en buvant son café. Betty semblait soucieuse face à ses légumes, une ride se creusait entre ses sourcils fins et une veine battait contre sa tempe. Elle non plus n’avait pas une vie facile, toujours au service des autres, d’autres qui ne la voyaient même plus. Marie se sentit d’un coup solidaire de cette femme niée, elle observait les mains fines et blanches aux ongles trop courts, marbrées de veines bleutées, qui perdaient leur délicatesse dans les tâches ménagères. Des mains de pianiste.
Tu joues toujours du piano, Betty ? je me souviens que tu étais très douée.
Betty leva les yeux vers sa tante, un sourire aux lèvres. Elle posa son couteau. Son regard effleura un instant les murs et sembla vouloir se perdre au-delà, dans le salon ou trônait le grand piano.
Ca fait des années que je n’ai plus joué mais les enfants apprennent. Valérie se débrouille plutôt bien et Quentin sait jouer «au clair de la lune» avec un doigt !
Mais pourquoi tu ne joues plus, toi ?
Oh la la, c’est que je n’ai plus le temps pour ça tu sais, dit Betty en souriant franchement. C’est beaucoup de travail, une famille ! Tu vois bien que je suis toujours en train de faire quelque chose...
Bon.
Marie sortit dans le jardin fumer une cigarette. Encore une sale habitude qui dressait entre elle et eux une barrière, un écran de fumée. Par la baie vitrée, elle continuait à regarder Betty dans sa cuisine, dans son rôle trop rodé de mère et d’épouse modèle. Pour elle, jamais un facteur ou un plombier de cinéma. Quelle tristesse !
Elle jeta dans le jardin du voisin, en prenant bien garde de ne pas être repérée.
Hé Betty ! Tu as prévu quelque chose cet après-midi ?
Heu... je dois passer au pressing, faire un gâteau pour la fête de l’école et j’ai du repassage en retard. J’ai une vie bien remplie comme tu vois ! En plus pour ce soir j’ai prévu des lasagnes, il faut que je prenne le temps de les préparer.
Pour une fois Betty, tu peux pas laisser tomber tout ça ? Ca fait des années qu’on ne s’est pas vues et tu m’héberges donc cet après-midi, laisse-moi m’occuper de toi.
Mais je ne peux pas ! il fallait me prévenir avant, que je puisse m’organiser !
Arrête un peu, madame la surmenée ! Ton ménage et ta bouffe vont pas se sauver et personne fera ça à ta place.
Elle la prit par les épaules et planta ses yeux dans ceux de sa nièce :
Allez ma grande... dès que tes enfants sont retournés à l’école cet après-midi, tu m’accordes un peu de temps.
Betty baissa les yeux et articula un «mouais» peu convaincu. Elle craignait de perdre son temps à ne rien faire avec sa tante et en même temps elle se disait que ça faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas un peu amusée, entre filles.
Rongée à l’avance par la culpabilité d’abandonner son foyer pendant trois heures, Betty prépara le repas à la vitesse grand V et parvint même à repasser la moitié des vêtements qui attendaient dans le panier. Sous l’oeil amusé de Marie, elle allait dans tous les sens, avec l’énergie et l’excitation d’une petite fille qui fait vite ses devoirs avant d’aller jouer.
Elle pressa les enfants de manger et fit la vaisselle en un temps record.
Lorsqu’enfin les deux femmes déposèrent Valérie et Quentin à 13h30, elles se regardèrent et se mirent à rire, de la gaieté folle des jeunes filles. Betty baissa le miroir de courtoisie et fit une moue en essayant de réajuster sa queue de cheval.
Pour commencer, je t’emmène chez le coiffeur ma chérie. Tu ne ressembles à rien comme ça.
J’ai pas que ça à faire, répondit Betty, un peu vexée.
Chez le coiffeur où Betty se laissa traîner avec une mauvaise grâce feinte, Marie insista pour qu’on lui fît aussi les ongles et qu’on la maquilla. Betty choisit un vernis discret au reflets nacrés et accepta un maquillage léger qui mettait en valeur ses grand yeux verts.
Marie la contemplait comme un maître son oeuvre et Betty souriait de se découvrir une beauté qu’elle avait oubliée depuis bien longtemps. Les deux femmes s’installèrent à une terrasse de café. Marie montrait les hommes à Betty qui riait comme une adolescente des regards appuyés de certains messieurs. Elles durent courir pour être à l’heure à l’école. L’humeur était joyeuse, enjouée même. Quentin ne quittait plus sa mère du regard et lui répétait à loisirs qu’elle était belle. Valérie courtisait sa grand-tante, espérant elle aussi se voir offrir une séance de relooking.
Betty prépara les lasagnes avec plus d’entrain que jamais, en prenant garde à ses ongles toutefois. Marie consentit à l’aider en mettant la table avec les enfants, puis elle reprit sa place au bar et sirota son éternelle suze cassis.
Benoît rentra fort tard, comme à son habitude. Il s’assit en face de son épouse qu’il complimenta autant qu’il le pouvait. Il était heureux de retrouver la femme qu’il avait tant aimée 15 ans auparavant. Ses cheveux chatains bouclés, ses yeux verts si grands lui rappelaient combien il avait pu l’aimer, avant. Il lui tourna autour, l’embrassa dans le cou, lui lançait des oeillades qu’il réservait aux autres depuis dix bonnes années. Il en oublia même la sulfureuse présence de Marie qui pour ce moment n’était plus qu’une vieille tante inoffensive qui soufflait dans leur foyer un vent de réconciliation et de sensualité.
Marie perçut très vite le changement du regard de Benoît et fit tout son possible non seulement pour se faire oublier, mais aussi pour s’occuper des enfants. Ces derniers se laissèrent volontiers faire, touchés par la grâce qui ce soir-là enveloppait leur foyer. Ils regardèrent avec Marie une émission de télé-réalité dont elle connaissait quelques participants sur lesquels elle avait quelques anecdotes savoureuses à partager. Puis ils allèrent docilement se coucher, en prenant soin de ne pas déranger leurs parents, occupés à s’embrasser dans les coins tout en rangeant plus ou moins la cuisine.
La grâce se prolongea le lendemain matin ou Benoît et Betty, les amants magnifiques, prirent ensemble leur petit déjeuner en se souriant.
Lorsque Betty rentra de l’école, Marie avait rangé la cuisine, il n’y avait plus trace du petit déjeuner que Betty avait pour une fois laissé traîner en partant.
La paix était revenue, grâce à quelques fards et onguents. ll avait suffi de quelques soins esthétiques pour redonner au quotidien de cette petite famille les couleurs qu’il avait perdues. Mais, à l’image de ces artifices, on devine vite que tout cela n’est que vernis posé sur de la crasse, et qui tient d’autant plus mal que le support est graisseux et poussiéreux. Malgré cette conscience du mensonge, les époux et les enfants Guerier-Rocquebert se délectaient de ce moment fragile où l’harmonie retrouvée leur permettait de rêver à un avenir paisible. Betty s’accrocha à son maquillage et à sa nouvelle coiffure quelques jours durant. Jusqu’à ce que le poids du quotidien reteinte de fadeur son visage et sa tenue. Benoît tint bon lui aussi et se contenta d’honorer sa femme en reléguant tout au fond de son esprit ses conquêtes inachevées.
Mais les préoccupations de l’une, les penchants de l’autre reprirent bien vite leur place dans la routine qui se réinstallait. Marie, la bonne fée Marie, ne parvint plus à rallumer l’étincelle, on ne fait pas revenir à la vie ce qui depuis longtemps est mort et enterré. Fantôme d’amour et de désir, illusion de terre promise. Il n’y a pas de viagra sentimental.