Les jours passèrent, Marie passait ses journées à traîner en ville. Elle avait perdu tout espoir de trouver un emploi et ne supportait plus l’hospitalité de sa nièce. Elle profitait le matin du trajet en voiture jusqu’à l’école des enfants et ne revenait que le soir, en bus, parfois à pied, de préférence après le repas du soir, alors que Betty était occupée à débarrasser, que Benoit était allongé devant la télévision - quand il était là - et qu’elle pouvait encore passer un moment avec les enfants chacun dans leur chambre.
Elle avait fini par se rendre compte que le vilain petit banquier était chaque jour aux «Trois cochons». A force de le croiser, elle avait fini par le saluer quotidiennement jusqu’à ce qu’un jour elle le trouve assis sur le tabouret à côté de celui sur lequel elle s’asseyait quotidiennement. Elle eut d’abord un mouvement de recul puis, entre la résignation et la défense de son territoire, elle s’installa à sa place habituelle. Elle fixait obstinément sa tasse de café, bien décidée à ignorer l’homme autant que possible. Lui gardait les yeux rivés sur elle, attendant un signe qui lui permette d’entamer la conversation.
Finalement, c’est Marie qui prit la parole :
Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda-t-elle sans lever la tête.
Rien. Je veux juste faire votre connaissance. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette, je vous vois ici tous les jours, devant votre café, et....
Et quoi ? Et rien ! je bois du café parce que j’ai rien d’autre à faire. Si vous voulez faire quelque chose pour moi, je cherche un boulot, vous avez ça pour moi ?
Elle sourit tristement, elle ne savait rien faire, enfin, rien qui puisse être utile dans une banque...
Peut-être... dites-moi, vous avez un cv ? Je peux peut-être le transmettre à la DRH...
Je n’ai aucune qualification pour travailler dans une banque.
Vous avez bien un métier... vous avez déjà travaillé non ?
Ah ça.... pour avoir travaillé, on peut dire que j’ai travaillé....
Dans quel domaine ?
Le spectacle...
Elle servait toujours la même niaiserie, quand on la questionnait sur son métier. Que pouvait-elle dire ? J’étais actrice porno, mon boulot s’était de me faire enfiler, sous tous les angles, dans toutes les positions et de préférence en gros plan ? Pas acceptable, pas écoutable pour la plupart des gens. Mais elle avait perdu le goût de choquer.
Ok.... mais vous savez lire et écrire non ? Ecoutez, là, je dois filer à la banque mais je vous propose qu’on se voie demain à 12h30. J’aurais un peu plus de temps, on pourra discuter et peut-être vous trouver quelque chose.
Oui, oui, c’est ça....
Elle serra la main qu’il lui tendait, sans conviction. Elle avait le sentiment de lui faire pitié.
Pourtant le lendemain, poussée par je ne sais quelle curiosité, elle entra aux «Trois cochons», en retard, soit, mais elle entra. Le vilain petit banquier était assis à une table. Il se leva à son arrivée et lui commanda un café. Il avait compris qu’elle ne partagerait pas son repas et ne lui proposa pas. Elle s’assit mollement et il attaqua de but en blanc :
Vous me disiez que vous étiez dans le «spectacle», c’est ça ? C’est un domaine auquel je me suis beaucoup intéressé, dans une autre vie... Quel était votre nom de scène ?
...
Marie le regardait droit dans les yeux. Il savait. Elle attendait juste qu’il lui fasse une proposition salace pour se lever et se mettre à gueuler dans la salle, afin que tout le monde sache quel était le petit péché de cet immonde bonhomme.
Je vais vous dire, poursuivit-il après un silence, je crois que je vous ai reconnue, je crois que votre nom de scène était Symphony. Je me trompe ?
....
Mais cela n’a pas d’importance. J’ai vu vos films. Vous étiez très ... douée....
Espère de gros pervers, qu’est-ce que tu veux ?
Marie sentait son sang bouillonner.
... mais comme je vous l’ai dit, c’était dans une autre vie. A cause de ma sale manie de ...... m’intéresser trop au monde du «spectacle», j’ai perdu ma femme et mes deux filles. Je me suis fait soigner et aujourd’hui je paie mes erreurs. Je suis seul. Je n’ai plus aucun contact avec ma famille. Ma femme ne veut plus entendre parler de moi, elle a raconté des horreurs à mes filles, qui ne veulent plus me voir non plus...
Il avait baissé son regard sur son assiette où traînait un reste de boeuf bourguignon. Marie continuait à la fixer.
Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ? c’est bien fait pour vous tout ça.
Sa voix exprimait une colère froide, une haine profonde. En même temps la détresse de l’homme lui faisait un peu pitié. Elle se sentait un peu responsable de sa déchéance. Elle radoucit sa voix.
On n’était pas censé causer boulot tous les deux ?
Si, bien sûr. Mes états d’âme ne regardent que moi. Je suis désolé. Pour ce qui est du travail, je vais voir si quelque chose peut vous convenir à la banque. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à un poste élevé, ajouta-t-il dans un sourire gêné. Je regarde ça et je vous propose qu’on se retrouve mardi prochain, à 17h ; ma journée sera terminée et j’aurais un peu plus de temps à vous consacrer.
Elle se leva, lui tendit la main et dans un souffle se présenta :
Marie.
Elle se retrouva dans la rue, ne sachant pas trop où aller. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle avait fait une rencontre presque normale, presque agréable. Il y avait des lustres qu’elle avançait sans rien voir devant elle et voilà qu’elle avait un rendez-vous, professionnel de surcroit. En elle luttaient deux voix : d’un côté elle allait enfin s’en sortir, l’espoir était permis, enfin elle aurait accès à la normalité, à l’anonymat, de l’autre côté quelque chose de profondément défaitiste, ou réaliste, la ramenait vers le sol. Que pouvait-elle attendre ? Pourquoi ce bonhomme lui donnerait un travail alors qu’elle ne savait rien faire, et sans rien demander en retour ? Elle se refusait de croire qu’un geste véritablement gratuit, humain, désintéressé puisse lui être adressé. Elle avait toujours vécu comme une marchandise, elle s’était servie d’elle-même comme d’un objet, dans une sorte de dédoublement vicieux, pour vivre ; elle ne comprenait pas qu’on puisse ne rien lui demander, à elle ni à son corps, alors qu’elle n’avait elle-même eu que ce genre de rapport avec sa propre personne.
Elle avait fini par se rendre compte que le vilain petit banquier était chaque jour aux «Trois cochons». A force de le croiser, elle avait fini par le saluer quotidiennement jusqu’à ce qu’un jour elle le trouve assis sur le tabouret à côté de celui sur lequel elle s’asseyait quotidiennement. Elle eut d’abord un mouvement de recul puis, entre la résignation et la défense de son territoire, elle s’installa à sa place habituelle. Elle fixait obstinément sa tasse de café, bien décidée à ignorer l’homme autant que possible. Lui gardait les yeux rivés sur elle, attendant un signe qui lui permette d’entamer la conversation.
Finalement, c’est Marie qui prit la parole :
Qu’est-ce que vous me voulez ? demanda-t-elle sans lever la tête.
Rien. Je veux juste faire votre connaissance. Vous n’avez pas l’air dans votre assiette, je vous vois ici tous les jours, devant votre café, et....
Et quoi ? Et rien ! je bois du café parce que j’ai rien d’autre à faire. Si vous voulez faire quelque chose pour moi, je cherche un boulot, vous avez ça pour moi ?
Elle sourit tristement, elle ne savait rien faire, enfin, rien qui puisse être utile dans une banque...
Peut-être... dites-moi, vous avez un cv ? Je peux peut-être le transmettre à la DRH...
Je n’ai aucune qualification pour travailler dans une banque.
Vous avez bien un métier... vous avez déjà travaillé non ?
Ah ça.... pour avoir travaillé, on peut dire que j’ai travaillé....
Dans quel domaine ?
Le spectacle...
Elle servait toujours la même niaiserie, quand on la questionnait sur son métier. Que pouvait-elle dire ? J’étais actrice porno, mon boulot s’était de me faire enfiler, sous tous les angles, dans toutes les positions et de préférence en gros plan ? Pas acceptable, pas écoutable pour la plupart des gens. Mais elle avait perdu le goût de choquer.
Ok.... mais vous savez lire et écrire non ? Ecoutez, là, je dois filer à la banque mais je vous propose qu’on se voie demain à 12h30. J’aurais un peu plus de temps, on pourra discuter et peut-être vous trouver quelque chose.
Oui, oui, c’est ça....
Elle serra la main qu’il lui tendait, sans conviction. Elle avait le sentiment de lui faire pitié.
Pourtant le lendemain, poussée par je ne sais quelle curiosité, elle entra aux «Trois cochons», en retard, soit, mais elle entra. Le vilain petit banquier était assis à une table. Il se leva à son arrivée et lui commanda un café. Il avait compris qu’elle ne partagerait pas son repas et ne lui proposa pas. Elle s’assit mollement et il attaqua de but en blanc :
Vous me disiez que vous étiez dans le «spectacle», c’est ça ? C’est un domaine auquel je me suis beaucoup intéressé, dans une autre vie... Quel était votre nom de scène ?
...
Marie le regardait droit dans les yeux. Il savait. Elle attendait juste qu’il lui fasse une proposition salace pour se lever et se mettre à gueuler dans la salle, afin que tout le monde sache quel était le petit péché de cet immonde bonhomme.
Je vais vous dire, poursuivit-il après un silence, je crois que je vous ai reconnue, je crois que votre nom de scène était Symphony. Je me trompe ?
....
Mais cela n’a pas d’importance. J’ai vu vos films. Vous étiez très ... douée....
Espère de gros pervers, qu’est-ce que tu veux ?
Marie sentait son sang bouillonner.
... mais comme je vous l’ai dit, c’était dans une autre vie. A cause de ma sale manie de ...... m’intéresser trop au monde du «spectacle», j’ai perdu ma femme et mes deux filles. Je me suis fait soigner et aujourd’hui je paie mes erreurs. Je suis seul. Je n’ai plus aucun contact avec ma famille. Ma femme ne veut plus entendre parler de moi, elle a raconté des horreurs à mes filles, qui ne veulent plus me voir non plus...
Il avait baissé son regard sur son assiette où traînait un reste de boeuf bourguignon. Marie continuait à la fixer.
Et alors ? Qu’est-ce que vous voulez que ça me foute ? c’est bien fait pour vous tout ça.
Sa voix exprimait une colère froide, une haine profonde. En même temps la détresse de l’homme lui faisait un peu pitié. Elle se sentait un peu responsable de sa déchéance. Elle radoucit sa voix.
On n’était pas censé causer boulot tous les deux ?
Si, bien sûr. Mes états d’âme ne regardent que moi. Je suis désolé. Pour ce qui est du travail, je vais voir si quelque chose peut vous convenir à la banque. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à un poste élevé, ajouta-t-il dans un sourire gêné. Je regarde ça et je vous propose qu’on se retrouve mardi prochain, à 17h ; ma journée sera terminée et j’aurais un peu plus de temps à vous consacrer.
Elle se leva, lui tendit la main et dans un souffle se présenta :
Marie.
Elle se retrouva dans la rue, ne sachant pas trop où aller. Pour la première fois depuis bien longtemps, elle avait fait une rencontre presque normale, presque agréable. Il y avait des lustres qu’elle avançait sans rien voir devant elle et voilà qu’elle avait un rendez-vous, professionnel de surcroit. En elle luttaient deux voix : d’un côté elle allait enfin s’en sortir, l’espoir était permis, enfin elle aurait accès à la normalité, à l’anonymat, de l’autre côté quelque chose de profondément défaitiste, ou réaliste, la ramenait vers le sol. Que pouvait-elle attendre ? Pourquoi ce bonhomme lui donnerait un travail alors qu’elle ne savait rien faire, et sans rien demander en retour ? Elle se refusait de croire qu’un geste véritablement gratuit, humain, désintéressé puisse lui être adressé. Elle avait toujours vécu comme une marchandise, elle s’était servie d’elle-même comme d’un objet, dans une sorte de dédoublement vicieux, pour vivre ; elle ne comprenait pas qu’on puisse ne rien lui demander, à elle ni à son corps, alors qu’elle n’avait elle-même eu que ce genre de rapport avec sa propre personne.